Nous avons rencontré Damian Gsponer à Bratsch, sur la route de Loèche-les-Bains, dans le Haut-Valais, en Suisse. Damian Gsponer est le fondateur et le directeur de la gd-Schule, une école qui utilise au quotidien la pédagogie du projet pour développer un village de montagne. Vous avez bien lu : une école qui développe un village de montagne !
Ce n’est pas uniquement l’absence des notes et des devoirs à domicile qui rend la gd-Schule unique, c’est l’enseignement tout entier qui se distingue par une approche qui vise systématiquement des réalisations concrètes, pour la plupart au service des habitants de Bratsch.
Dans le podcast, Dominique Bourqui revient avec Damian Gsponer sur le parcours qui l’a conduit de la salle de classe à la fondation d’une école.
Vision
Au début de l’interview, Damian Gsponer explique qu’il tient sa vision de son enfance : il se décrit comme un enfant très vivant, déçu de devoir abandonner ses projets en passant la porte de l’école, pas vraiment heureux de se contenter de remplier des papiers.
Cette perception d’une école séparée de la vie est devenue un questionnement plus profond à l’occasion des études de Damian à la HEP, questionnement qui l’a conduit à la recherche d’un autre chemin, qui réunirait l’école et la vie. Damian Gsponer a peu à peu acquis la conviction que, dans une telle école, il aurait appris plus, il aurait appris mieux.
Devenu directeur des écoles de Loèche, Damian Gsponer a essayé de convaincre les autorités du Canton du Valais qu’il pouvait réaliser cette école d’une forme nouvelle au sein du service public. Il n’a pas obtenu le soutien qu’il escomptait, mais il n’a pas renoncé à son but : il s’est fait créateur d’entreprise pour que naisse une nouvelle forme d’enseignement.
Prendre le chemin du privé lui a donné un avantage capital : il a dû (et a pu) tout construire à neuf, sans avoir à faire de concession. Dans l’école de Damian Gsponer, l’apprentissage à long terme et la motivation se nourrissent aussi bien de l’essai et de la recherche que de l’erreur, qui doit être une source de réflexion, et non un constat d’échec.
Opportunités
Toute l’histoire de la fondation de la gd-Schule tient au respect de principe entrepreneuriaux fondamentaux : l’utilisation des ressources à disposition, l’exploitation des opportunités, l’adéquation entre la proposition de valeur et le business model.
Pour réaliser son projet, Damian Gsponer n’avait pas d’argent, alors il a construit un réseau. Sur le micro-territoire que constitue le paysage économico-social du Haut-Valais, il a su trouver les bonnes personnes, celles qui voulaient et avaient les moyens de l’aider.
La situation incertaine du village de Bratsch avant la fondation de la gd-Schule fut aussi une opportunité. Comme dans beaucoup de régions de montagne, les jeunes étaient partis pour la plaine, la population vieillissait, l’école était tout simplement vide.
Là où beaucoup auraient vu une fin, Damian Gsponer a vu la possibilité d’un début. L’ouverture de l’école a ramené la vie au village. Le magasin et le restaurant du village ont rouvert, avec l’aide des enfants. Une nouvelle ligne de bus a été créée. De nouveaux habitants sont arrivés.
Le soutien de partenaires privés permet de conserver au projet une forte dimension sociale. Le Business Model permet de moduler le tarif des écolages en fonction du revenu des parents et de réaliser la promesse à laquelle tient Damian Gsponer : « Une école d’élite pour tous, pas juste une école pour l’élite. »
Appuyée sur de telles fondations, la vision de Damian Gsponer s’étend de façon virale : une deuxième école a vu le jour à Zermatt, et d’autres développements vont suivre.
Enseignement entrepreneurial
A mesure que l’interview avance, le caractère unique de la gd-Schule se révèle de plus en plus précisément.
Il faut prendre conscience que TOUT l’enseignement est entrepreneurial. La convergence mise au jour dans le livre Edupreneurial Pivot entre les compétences du XXIe siècle et l’État d’esprit entrepreneurial ne saurait être mieux confirmée que par les progrès des élèves de Bratsch.
« Nous avons 48 entrepreneurs dans l’école », explique Damian Gsponer.
Des entrepreneurs professionnels ont visité l’école et validé la démarche. Il ne s’agit pas seulement de créativité, il s’agit de passer de l’idée à sa réalisation.
Parfois, ce sont les enfants qui pensent à la communauté et mettent sur pied des cours d’informatique pour seniors. Parfois c’est la communauté qui pense aux enfants, et un ingénieur expérimenté vient aider les enfants à créer leur jardin. Demain, les enfants pourront peut-être dire qu’ils ont eux-mêmes construit leur village ET leur école : pour le projet d’agrandissement, ils travaillent déjà avec un parent qui dirige un bureau d’architecture.
Non seulement, les projets aboutissent à des réalisations concrètes, mais les enfants apprennent, acquièrent de l’expertise dans les domaines qu’ils abordent. « Le village est l’école et vice versa, l’école est le village », résume Damian Gsponer.
Leçons pour entreprendre
Le plus impressionnant dans l’histoire de Damian Gsponer, c’est qu’il s’est lancé sans avoir fait de plan B.
Il ne veut pas dire par là que l’entrepreneur doit savoir prendre tous les risques. Il reconnaît certes qu’il a eu de la chance, parce que l’école a décollé très vite, mais c’est à un autre principe, particulièrement entrepreneurial, qu’il veut venir.
Damian Gsponer veut attirer l’attention sur une vérité très importante au sujet des ressources : quelle que soit la situation, il y a toujours quelque chose que l’on peut faire avec.
Le message de conclusion de l’interview au sujet s’adresse aux enseignants, en qui Damian Gsponer veut voir des « Menschenspezialist ».
Le métier des enseignants est en effet en train de changer, mais c’est à eux qu’il appartient de faire la différence : « Un mauvais système avec des bons pédagogue est toujours meilleur qu’un bon système avec des mauvais pédagogues », résume Damian Gsponer.
Dans ce contexte, la liberté des enseignants est leur plus grand avantage. En évoquant le problème, Damian Gsponer revient sur la question des notes et admet qu’elles représentent, un important élément de blocage, mais il rectifie, fort de son expérience : « Chacun a une marge de manœuvre ».
C’est aussi la conviction du « Pivot édupreneurial », qui note, dans le chapitre consacré au pivot de l’enseignant : « La réalité de leur liberté pédagogique échappe trop fréquemment aux enseignants, qui sont souvent avant tout préoccupés par le fait de faire juste pour juste faire ».
Merci à Damian Gsponer et à son équipe pour son accueil et sa disponibilité. Vous trouverez plus d’information sur Bratsch et la gd-Schule sur le site de l’école (https://www.gd-vs.ch) et sur le blog d’Edupreneurial Pivot.